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Les chefs d’entreprise face à la pénurie de compétences dans l’industrie après le COVID-19

Pénurie de compétences dans l'industrie

Selon un récent sondage, 52 % des chefs d’entreprise rencontrent des difficultés à recruter du personnel qualifié. L’insuffisance de qualifications professionnelles est évoquée comme le principal frein dans 45 % des cas, et le secteur du bâtiment (50 %) et de l’industrie (38 %) sont particulièrement touchés.

Le secteur industriel aux États-Unis en a pris un coup pendant la pandémie de COVID-19. Selon le Bureau des statistiques du travail, 486 000 postes étaient vacants dans le secteur industriel en juin 2019. Ce chiffre a chuté à 306 000 en mai 2020, mais est remonté à 336 000 (regain de 10 %) au mois de juin. Globalement, la demande est à la baisse, et même en supposant que les effets de la pandémie sur l’économie américaine ne seront pas éternels, la pénurie de compétences risque de perdurer.

Depuis la fin de la crise de 2007-2009, les responsables industriels ont essayé, en vain, de recruter du personnel pour gérer la reprise de la demande. La pénurie de compétences a trait aux aptitudes scientifiques, techniques et mathématiques (STIM), car le secteur de l’industrie est de plus en plus axé sur la technologie. Les compétences les plus recherchées concernent l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, le développement de logiciels et le cloud. Mais la pénurie ne se limite pas au numérique. Les compétences de fabrication conventionnelles (usinage, assemblage, gestion de la qualité, ingénierie des processus, etc.) se trouvent également en nombre insuffisant. La perspective démographique est partiellement en cause.

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Le Dr A. John Hart, maître de conférences en ingénierie mécanique et directeur du Laboratoire de Fabrication et productivité du MIT, est l’un des enseignants des cours Fondamentaux des processus industriels et Fabrication additive destinée aux conceptions et productions innovantes. Avec l’aimable autorisation de Scott Brauer et du MIT.

On compte plus de collaborateurs qui partent à la retraite que de nouveaux employés pour les remplacer. Toutefois, tout le monde n’est pas convaincu de la réalité du manque de compétences dans le secteur industriel. Certains affirment qu’il y a beaucoup de travailleurs qualifiés, mais que le manque est dû aux salaires qui restent trop bas. D’autres suggèrent que les industriels aggravent le problème en augmentant constamment les exigences en matière de formation et d’expérience pour les nouvelles recrues.

Selon le Dr A. John Hart, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), le nœud du problème ne réside pas dans les attentes démesurées à l’égard des nouveaux employés, mais dans le rythme d’évolution des compétences tout au long de la carrière. « Nous devons créer un marché dans lequel le désir et la capacité d’apprendre les nouvelles technologies sont valorisés par les employeurs, les employés reconnaissent que la demande pour leurs compétences actuelles s’étiole, et ils ont la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences et de les faire valoir en toute confiance », explique-t-il.

Une divergence de compétences

Selon A. John Hart, il est nécessaire de diversifier les approches institutionnelles et de les rendre plus accessibles afin que les actifs se concentrent sur l’avenir de leur carrière et se donnent les moyens d’être compétitifs sur un marché du travail en mutation, dans une industrie axée sur la technologie.

En plus de son travail de professeur d’ingénierie mécanique, A. John Hart est directeur du Laboratoire de Fabrication et productivité et du Centre des technologies numériques et additives avancées au MIT. Créateur d’un cours en ligne d’initiation professionnelle à l’impression 3D industrielle, il connait très bien les problématiques des formations s’adressant aux collaborateurs du secteur. « Il existe une divergence entre les compétences actuelles des employés et celles requises pour exploiter, mettre en œuvre et exécuter bon nombre des technologies de fabrication de pointe comme la robotique, l’automatisation, l’impression 3D, ainsi que pour exploiter les connaissances issues de la science des données appliquée à la fabrication. On a de plus en plus besoin d’un cursus d’études pratiques pour combler les lacunes entre la formation professionnelle, un diplôme en deux ans, et un diplôme technique en quatre ans. »

De nouveaux types de formation, d’apprentissage et de certification sont nécessaires. Il faut mettre l’accent sur la mise à jour des compétences, la requalification et l’apprentissage continu. L’action du gouvernement est cruciale dans l’établissement de ces programmes de formation. Mais les industries doivent également se positionner et « valoriser les compétences de leurs employés au-delà de leur travail quotidien » précise-t-il.

« Il existe des cours en ligne extraordinaires, où vous pouvez poser des questions, mais sans expérience pratique, vos compétences restent incomplètes », Dr A. John Hart.

Évidemment, la plupart des nouvelles compétences dans le secteur de l’industrie sont numériques. Mais ce n’est pas parce que les ingénieurs utilisent des services d’apprentissage automatique qu’ils doivent devenir des « data scientists » chevronnés. « Ils doivent comprendre quelles questions poser et quelles réponses sont crédibles et importantes », commente-t-il.

La science des données est une compétence clé dans beaucoup d’entreprises, où, dans certains cas, on engage un data scientist issu d’un autre secteur, et on l’associe à des experts afin de créer des outils d’analyse des ateliers en usine, ou de caractérisation rapide des matériaux. Pour le Dr Hart, ce qui compte c’est la capacité de collaboration avec des experts venus d’autres domaines, et non de maîtriser absolument toutes les compétences. 

Un enseignement continu

Le cours du Dr Hart : Additive Manufacturing for Innovative Design and Production, se déroule sur douze semaines, et s’adresse à des professionnels. « On y enseigne les principes de base et les applications de l’impression 3D, pour les ingénieurs, les responsables, les dirigeants et les ouvriers qualifiés. Le cours attire de nombreux professionnels, des ingénieurs fraîchement diplômés aux dirigeants expérimentés, qui veulent connaître le fonctionnement de l’impression 3D et ses cas d’usages pour leur entreprise. Plus de 5000 personnes ont participé à ce cours. Parmi eux, de nouvelles recrues qui souhaitent implémenter l’impression 3D dans leurs entreprises. »

Il enseigne également Fundamentals of Manufacturing Processes, un MOOC (formation en ligne ouverte à un grand nombre de participants). Ce cours est une introduction générale aux procédés de fabrication, elle correspond à une nouvelle version du cours de première année qu’il donne au MIT. Ces dernières années, des milliers de personnes dans le monde ont participé à ce cours d’entrée en matière, plutôt simple, et plus de 400 d’entre elles ont obtenu le certificat MITx.

Bien que réalisés en ligne, « beaucoup des thèmes abordés sont en fait très pratiques : programmer un robot, réaliser un essai mécanique, etc. Il existe des cours en ligne extraordinaires, où vous pouvez poser des questions, mais sans expérience pratique, vos compétences restent incomplètes. Du fait de la pandémie et de l’obligation des cours à distance, la planète entière découvre tellement de choses sur ce qui est efficace ou qui ne l’est pas en matière d’apprentissage en ligne. Il ne s’agit pas uniquement de savoir comment se connecter à la conférence et au chat. Vous devez vous préparer, de façon à transmettre aux étudiants votre savoir et à les faire travailler sur des outils logiciels de pointe pour que leurs connaissances soient solides, même hors campus, même hors atelier. »

Pour enrichir l’apprentissage en ligne, une technique utilisée par le Dr Hart est de demander aux étudiants de noter des exemples de fabrication présents dans leur environnement. « Nous demandons aux étudiants de regarder autour d’eux dans la maison, et de trouver un objet fabriqué par moulage à injection, une pièce en métal moulée, une pièce découpée dans la tôle. S’ils sont capables de le démonter, de prendre des photos du montage, de calculer les forces nécessaires, alors cela résulte en une expérience d’apprentissage plus consciente du monde et de ses réalités. »

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Avec la nécessaire distanciation sociale de 2020, les enseignants découvrent dans quelle mesure l’enseignement à distance peut remplacer l’expérience pratique avec les outils de fabrication moderne.

Ce sont des cours de formation continue. Les réussir ne donne pas un diplôme du MIT, mais on vous remet un certificat officiel. « Le nom du MIT sur le certificat a de la valeur. J’en suis fier et je souhaite qu’il reste à la hauteur de sa réputation. »

Le Dr Hart voit comment de nombreuses institutions pourraient résoudre le problème de la pénurie decompétences dans l’industrie. « J’espère qu’à l’avenir, il y aura une plus forte collaboration entre les institutions éducatives de différentes tailles et dans différents endroits. Le système des community colleges aux États-Unis a un rôle à jouer dans l’amélioration des compétences pour accroitre la main d’œuvre de l’avenir. »

La situation mondiale

La pénurie de compétences dans le secteur de l’industrie n’est pas l’apanage des États-Unis, et le Dr Hart propose de considérer le problème à un niveau mondial. « En Allemagne, en Chine ou au Brésil, on pourrait exprimer le problème différemment. En Chine par exemple, j’ai entendu dire qu’il y avait un manque de diplômés en programmation de meules informatisées haut de gamme pour la fabrication de pièces dans le secteur aéronautique, comme des pièces légères aux géométries complexes. »

Il est essentiel de porter un regard global sur la situation, car la fabrication additive entraine le secteur industriel vers la fabrication numérique. Il ajoute qu’il est rentable d’externaliser la fabrication à l’étranger. « Ce n’est pas uniquement parce que les salaires sont bas sur ces marchés. De nombreux pays ont bâti un écosystème, des chaînes logistiques, mobilisé des effectifs, développé leur souplesse, ainsi que créé des ateliers d’usinage pour pouvoir évoluer rapidement et fournir une expertise de première main. »

Le MIT propose des stages d’été d’une semaine en général, sur des thèmes tels que l’impression 3D, en présentiel sur le campus. L’université n’a pas été en mesure de les assurer en 2020, mais le Dr Hart espère les organiser à nouveau cet été. Des stages courts, mais intenses, et qui présentent moult avantages, surtout pour le réseautage.

« La devise du MIT, “the mind and hand” résume l’objectif : une fusion de l’expérience pratique avec la théorie et l’analyse. Les meilleurs ingénieurs et innovateurs dans le domaine de l’industrie savent comment se sasir des principes techniques clés pour résoudre d’importants problèmes et créer des technologies et des entreprises qui feront progresser durablement notre monde. »