Vols spatiaux durables : la start-up HyImpulse utilise de la cire de bougie pour lancer des satellites

La startup allemande HyImpulse travaille sur des vols spatiaux durables grâce à son système unique de propulsion par fusée hybride.

vols spatiaux durables

Susanne Frank

14 décembre 2021

min de lecture
  • HyImpulse est une des nouvelles start-ups dans le domaine spatial cherchant à faire de l’Allemagne le leader européen des vols spatiaux.

  • En 2023, le microlanceur SL1 d’HyImpulse transportera les premiers « petits satellites » dans l’espace à l’aide d’un système hybride durable propulsé par la paraffine.

  • En créant ses fusées sur ordinateur avec un jumeau numérique, HyImpulse réduit à la fois les délais et les coûts .

vols spatiaux durables

En juillet 2021, les vols dans l’espace ont fait la une des journaux du monde entier lorsque les milliardaires partaient à la conquête de l’espace. Le 11 juillet, des millions de personnes ont suivi l’aventure de l’homme d’affaires britannique Richard Branson qui s’est envolé vers l’espace à bord du SpaceShipTwo, puis encore l’exploit de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon qui entreprenait neuf jours plus tard, son propre voyage à bord de sa fusée, New Shepard.

À en juger par la date de lancement, Richard Branson avait une longueur d’avance sur son rival. Cependant, si l’on considère la définition de l’espace par la Fédération Aéronautique Internationale, la limite de l’espace est à 100 kilomètres au-dessus du niveau de la mer. Richard Branson n’a atteint que 86 kilomètres, ce qui place Jeff Bezos comme vainqueur, son vol ayant officiellement atteint une altitude de 107 kilomètres.

L’importante couverture médiatique de ces lancements a empêché trois nouvelles entreprises allemandes spécialisées dans l’aérospatiale de faire la une des médias internationaux. Les trois start-ups ont l’ambition d’envoyer des petits satellites en orbite à l’aide de microlanceurs, ce qui bénéficiera à tous, bien plus que les néanmoins impressionnants vols spatiaux de Jeff Bezos ou de Richard Branson, si tout se passe comme prévu.

La conquête de l’espace en Allemagne

La start-up allemande HyImpulse est une des trois entreprises, avec Isar Aerospace et Rocket Factory, qualifiées pour un concours de microlanceurs organisé par le Centre aérospatial allemand (DLR) en début d’année 2021. Finalement, c’est Isar Aerospace Technologies qui a remporté le concours et a reçu un financement de près de 13 millions de dollars (soit onze millions d’euros) de la part de l’Agence spatiale européenne (ESA).

Cependant, la jeune équipe de chercheurs de HyImpulse n’a pas laissé sa déception entamer son moral. Le co-fondateur, Christian Schmierer n’a pas été particulièrement surpris que le prix soit attribué à un de ses concurrents. « Il était évident qu’Isar Aerospace remporterait le premier tour, puisqu’ils étaient en capacité de démontrer la meilleure assise financière » , dit-il, en soulignant que les aspects technologiques ne représentaient que 30 % de l’évaluation. « Notre système unique de propulsion à la cire de paraffine nous distingue de nos concurrents. »

Un choix de carburant écologique

Une fusée propulsée à la cire peut sembler être une idée un peu folle au premier abord, mais il s’agit d’une option réaliste utilisant une méthode confirmée. L’ajout de cire de paraffine à l’oxygène liquide permet de rendre le système de propulsion plus sûr.

« Si une fusée qui utilise du kérosène vient à s’écraser, elle contaminera la mer ou la terre», explique Christian Schmierer. Il explique que, comme les fusées HyImpulse ne peuvent pas exploser, elles ne peuvent pas provoquer de catastrophe environnementale. « La paraffine peut être collectée et refondue, et c’est aussi plus sûr pour nos employés. »

Mais la cire de paraffine n’est pas parfaite. Elle demeure un sous-produit de l’industrie pétrolière, et sa combustion est toujours nuisible pour l’environnement. Remplacer la paraffine normale par de la paraffine écologique, c’est ce que qu’Hylmpulse espère faire d’ici 2030 au plus tard. Cette solution semble prometteuse : elle permettra de poser les bases des premiers vols spatiaux neutres sur le plan climat.

La paraffine écologique est produite artificiellement, ce qui, selon M. Schmierer, permet de lancer une fusée sans nuire à l’environnement. « La paraffine que nous avons créée absorbe le dioxyde de carbone de l’air et peut être stockée comme un carburant », précise-t-il. « Ce dioxyde de carbone est ensuite réémis dans l’atmosphère pendant le lancement, ce qui rend le vol neutre en carbone. »

Fusées et vols spatiaux durables

Une équipe internationale composée d'employés d'Allemagne, d'autres pays européens et d'Inde travaille sur l'avenir des vols spatiaux dans les installations de HyImpulse à Neuenstadt am Kocher, dans le sud-ouest de l'Allemagne
Une équipe internationale composée d’employés provenant d’Allemagne, d’autres pays européens et d’Inde travaille à l’avenir des vols spatiaux sur le site d’Hylmpulse à Neuenstadt am Kocher, dans le sud-ouest de l’Allemagne. Crédit : HyImpulse.

Jusqu’en 2016, le Dr Peter Rickmers a travaillé au Centre de technologie spatiale appliquée et de microgravité (ZARM) de l’Université de Brême, où il a développé un système de propulsion hybride fonctionnant à base d’oxygène liquide et de paraffine. Aujourd’hui, il dirige le projet d’expérience de vol réutilisable (ReFEx) au DLR.

Peter Rickmers explique que la cire n’est qu’une chaîne de « C et H », c’est-à-dire, des molécules de carbone et d’hydrogène. « Plus la concentration de C et de H est forte, plus la matière est dense », ajoute-t-il. « En premier lieu, le mélange devient huileux, puis il se transforme en gel, et enfin en cire. » Mais ce qui intéresse le plus l’ingénieur, c’est d’où proviennent les C et les H.

« Est-ce que je les crée à l’aide d’une méthode durable ou est-ce que je les pompe hors du sol ? », se demande-t-il. Pour Peter Rickmers, on pourrait considérer un lancement de fusée comme neutre pour le climat si le carbone provient de l’atmosphère et que l’électricité nécessaire à séparer l’hydrogène de l’eau était issue d’une source d’énergie renouvelable telle qu’une centrale photovoltaïque. La combustion du carburant créerait de l’eau, qui retomberait ensuite dans l’océan, et du dioxyde de carbone, qui, après avoir été extrait de l’atmosphère, serait rejeté dans l’environnement.

Par ailleurs, Christian Schmierer insiste sur le fait que le plan d’Hylmpulse consista à utiliser des énergies renouvelables pour créer la paraffine par le biais de la capture du carbone. « Nous prévoyons de commencer ce projet l’année prochaine », explique-t-il. « Dès que le financement est assuré. »

Des vols spatiaux neutres pour le climat d’ici 2030

HyImpulse s’est fixé pour objectif de parvenir à une propulsion neutre en carbone d’ici 2030. Christian Schmierer est convaincu que la start-up, qui compte actuellement 60 personnes sur son site du sud de l’Allemagne, atteindra cet objectif ambitieux. « Notre expertise technique surpasse de loin celle de nos concurrents », affirme-t-il.

HyImpulse développe et teste des moteurs de fusée depuis plus de 10 ans. L’idée est née en 2016, lorsque son directeur actuel, Mario Kobald, était encore chercheur à l’Université de Stuttgart. L’équipe de direction que M. Kobald dirige aujourd’hui se sont rencontrés alors qu’ils étaient étudiants et travaillaient sur un projet de développement de moteurs hybrides.

En 2016, ce groupe de quatre inventeurs a battu un record mondial de fusées hybridespour étudiants en atteignant un apogée de 32,3 kilomètres. Les quatre collègues ont travaillé comme ingénieurs d’essai au DLR alors qu’ils étaient encore étudiants. En 2018, ils ont lancé HyImpulse avec un financement de l’UE de 2,9 millions de dollars (soit 2,5 millions d’euros) ; un investissement supplémentaire a été fourni par le professeur Rudolf Schwarz de l’Université technique de Munich.

À cheval sur le microlanceur d’Hylmpulse

Le microlanceur SL1 devrait effectuer son vol spatial inaugural l'année prochaine, transportant de petits satellites d'une charge utile totale de 500 kilogrammes
Le microlanceur SL1 effectuera son premier voyage l’année prochaine, emportant avec lui des petits satellites, avec un poids de charge de 500 kilogrammes. Crédit : HyImpulse.

L’équipe d’Hylmpulse travaille actuellement sur deux projets de fusées. Le premier est une fusée suborbitale dont le système de propulsion sera testé en vol cet hiver. Suborbitable signifie qu’elle est lancée haut dans le ciel et retourne immédiatement au sol sans entrer dans l’orbite de la Terre.

Cette fusée-sonde sera utilisée à des fins de recherche et d’observation de la planète. Christian Schmierer voit dans ce nouveau défi une façon de convaincre les sceptiques. « Jusqu’à présent, le moteur a été seulement testé au sol », raconte-t-il. « Maintenant, nous devons prouver aux sceptiques que cette technologie fonctionne vraiment. »

Cependant, le but ultime d’Hylmpulse, est le premier voyage de son microlanceur. Le premier vol du SL1, qui pourra transporter un poids de charge de 500 kilogrammes, est prévu pour 2023, si la pandémie ou les problèmes d’approvisionnement ne viennent pas perturber ces plans d’ici là. « Nous travaillons dans la perspective de vols réguliers pour les voyages dans l’espace », explique Mario Kobald.

Parmi ses clients potentiels, Hylmpulse a identifié les opérateurs de satellites. « Le tout premier vol sera en mesure de transporter des satellites », explique Christian Schmierer. « Comme il s’agit d’un vol d’essai, le client doit être prêt à accepter un risque plus important. » Le modèle commercial d’HyImpulse propose à ses clients de payer par kilo de charge utile. Le prix se monte aujourd’hui à 18 500 dollas par kilogramme (environ 16 370 euros).

Néanmoins, l’entreprise espère pouvoir baisser ce montant à presque 8 000 dollars (7 000 euros) par kilo en 2030 grâce à la production en série. En tenant compte de l’ensemble du processus de développement, Christian Schmierer estime que le coût d’un seul lancement se situe entre 690 000 et plus d’un million de dollars (610 000 et 885 000 euros). Les choses devraient évoluer rapidement une fois le voyage inaugural effectué. HyImpulse prévoit d’effectuer six lancements pour 2025, et à partir de 2030, il espère proposer plus de 30 lancements par an.

Réduire les coûts grâce à la production en série

Le hall de production en série de microlanceurs sur le site HyImpulse de Neuenstadt am Kocher, dans le sud-ouest de l'Allemagne
L’entrepôt de production en série des microlanceurs sur le site d’HyImpulse à Neuenstadt am Kocher, dans le sud-ouest de l’Allemagne. Crédit : HyImpulse.

Dans les dix prochaines années, HyImpulse prévoit de construire 50 fusées et environ 400 moteurs par an sur son site en Allemagne. Atteindre un tel objectif ne sera possible que parce les fusées sont d’abord conçues avec des outils numériques. Les employés peuvent simuler les charges et les spécifications des moteurs à l’aide de Fusion 360 d’Autodesk.

En effet, tester les nouvelles fonctionnalités au format numérique sur le site permet d’éviter les erreurs de construction pendant la production. « L’une des raisons pour lesquelles nous avons choisi Fusion 360 est que c’est un système très flexible qui peut être facilement adapté », explique Christian Schmierer. « Il est très facile de concevoir des composants individuels de manière numérique, puis de les compiler pour créer une fusée.»

Ensuite, il y a la question de la demande : S’agit-il d’un modèle économique viable, et y aura-t-il suffisamment de clients ? À ce jour, HyImpulse a publié deux protocoles d’accord avec des entreprises qui ont exprimé leur intérêt pour son travail.

L’un d’entre eux est Yuri, une start-up spécialisée dans la recherche sur la microgravité, et l’autre est Exolaunch, qui fournit des services de “rideshares” pour les satellites. Bien que HyImpulse n’ait pas fourni d’informations sur d’autres clients potentiels, l’équipe ne doute pas de l’existence d’une demande pour ses services.

Plus de satellites en orbite et des prévisions plus précises

Pour les entreprises comme HyImpulse, leurs projets de microlanceurs pour transporter des petits satellites dans l’espace laissent entrevoir un potentiel de vente énorme. « Les petits satellites peuvent nous aider à mieux comprendre le changement climatique et joueront un rôle dans la protection de l’environnement à l’avenir », explique M. Schmierer.

Plus il y aura de satellites dans l’espace, mieux on pourra mesurer et analyser avec précision les zones inexplorées. Il y aura des systèmes spécialisés dans la communication avec les navires et les avions, ainsi que de nouvelles applications permettant de surveiller les réseaux ferroviaires et les pipelines. « Toutes ces entreprises seraient les clientes de nos clients », précise Christian Schmierer.

En outre, il prévoit aussi qu’il y aura « certaines entreprises centrées sur l’évaluation des données ». Cependant, les entreprises comme HyImpulse sont la condition préalable à tout cela. En effet, il faut d’abord que quelqu’un offre aux fabricants de satellites la possibilité de les mettre en orbite.

Plus le nombre de satellites en orbite est élevé, plus la quantité de données est importante et plus les prévisions sont précises. De nombreux aspects de la vie quotidienne dépendent déjà de l’espace. Selon Peter Rickmers, une grande partie de ces activités passe inaperçue: «Sans la communication par satellite, de nombreux systèmes seraient limités, voire s’effondreraient tous ensemble – de la navigation aux prévisions météorologiques en passant par la bourse et la prévention des catastrophes. »

Si les nouvelles entreprises spatiales allemandes atteignent leur objectif d’envoyer des petits satellites en orbite, les conducteurs bénéficieront de prévisions plus précises quant à l’endroit où un embouteillage pourrait se produire. Il serait également possible de déterminer plus précisément le lieu d’un accident et de prévoir les inondations avec plus d’exactitude. En outre, les agriculteurs seraient en mesure de déterminer le moment exact nécessaire pour fertiliser et irriguer leurs champs, car les données satellitaires montreraient exactement où un champ est particulièrement aride.

Christian Schmierer considère essentiel le développement la technologie de propulsion afin de permettre à HyImpulse de se démarquer à long terme de la concurrence internationale et allemande. « Nos lanceurs sont la clé pour entrer dans l’orbite de la Terre », affirme-t-il. « Si vous détenez la clé, alors la charge utile et les clients suivront. »

Jusqu’à l’orbite et retour

Mettre au point des technologies de propulsion propres est une chose, mais il ne faut pas oublier que, dans un monde idéal du moins, tout ce qui monte doit redescendre. Le nombre de satellites en orbite terrestre va augmenter de façon disproportionnée dans les années à venir, et le problème des débris spatiaux doit être réglé.

Holger Krag, responsable du bureau des débris spatiaux à l’ESA, prévoit que dans quelques années, le nombre de satellites lancés sera plus élevé que dans toute l’histoire des vols spatiaux à ce jour. « Nous vivons actuellement une révolution », précise-t-il. Selon son podcast, WeltraumWagner, l’ESA estime qu’il y a actuellement plus de 7 500 satellites en orbite, dont 4 500 sont encore fonctionnels, tandis que les autres sont des rebuts.

Par ailleurs, Holger Krag explique que toutes les deux semaines environ, le contrôle des missions à l’ESA doit agir pour s’assurer qu’un de ses satellites n’entre pas en collision avec un autre. Il regrette le manque actuel de normes et de réglementations, un défi pour l’avenir. Afin de lutter contre ce problème, l’ESA travaille avec la start-up suisse ClearSpace, qui vise à lancer sa première mission pour ramasser les débris dans l’espace d’ici 2025. Le microlanceur d’Hylmpulse pourra transporter le robot dans l’espace, où il collectera les débris afin de les ramener sur Terre.

Enfin et surtout, Hylmpulse s’efforce également à garantir que ses fusées reviennent sur Terre en un seul morceau afin d’être réutilisées. Le développement de méthodes de lancement écologiques est essentielle afin de rendre les vols spatiaux plus durables. Tous les laboratoires spatiaux doivent faire un effort pour s’en assurer. Parce que les vols spatiaux ne seront viables à l’avenir que s’ils ne causent aucun dommage à la planète.

Susanne Frank

À propos de Susanne Frank

Susanne Frank a étudié la littérature américaine, l'anglais et le théâtre (MA) à la Friedrich Alexander Universität Erlangen-Nürnberg avant de suivre une formation de journaliste.

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