Démocratisation de la 3D : la beauté imprimée peut être sexy
Malin Mumford, une habitante d’Ocean Grove dans le New Jersey, avait 23 ans lorsqu’elle a commencé à perdre ses cheveux. Cela a commencé doucement, une petite plaque est apparue au-dessus de l’oreille, mais la progression a été rapide. En sept mois, elle avait pratiquement perdu tous ses cheveux à part quelques mèches, qu’elle a fini par raser, de rage.
« Tant que l’on n’a pas soi-même perdu ses cheveux, on ne réalise pas forcément à quel point nos cheveux sont une partie majeure de notre identité », explique Malin Mumford, chez qui on a diagnostiqué une alopécie, un trouble auto-immun où le système immunitaire s’attaque de manière inexplicable aux follicules pileux et provoque une calvitie. « Perdre ses cheveux est très éprouvant psychologiquement. Vous perdez une partie de vous-même pendant quelque temps. »
Malin Mumford, qui a maintenant 26 ans, possède une chevelure épaisse, blond vénitien. Ce sont de vrais cheveux, mais ce ne sont pas les siens. Ce n’est pas non plus une perruque. C’est une prothèse de chevelure sur mesure, conçue et fabriquée par les laboratoires Cesare Ragazzi. La société italienne a breveté un système CNC de chevelure, qui fait appel à l’impression 3D pour créer des prothèses de cheveux d’aspect naturel, à l’usage des personnes qui ont perdu les leurs : les patients cancéreux, les personnes comme Malin Mumford atteintes d’alopécie et les hommes touchés par la calvitie.

Voici comment ça marche : un coiffeur styliste spécialisé réalise un moule du cuir chevelu du client, en répertoriant soigneusement les zones touchées par la perte de cheveux. Il prend des notes détaillées concernant la teinte de cheveux, leur densité, leur texture, et les schémas de croissance puis les envoie en Italie avec le moule et un échantillon de cheveux. Au laboratoire, des techniciens font une image scanner 3D du moule pour créer un modèle numérique du cuir chevelu, qui est ensuite imprimé en 3D pour produire une réplique physique du crâne du client.
Ensuite, un polymère biochimique antifongique et antimicrobien est appliqué sur le crâne imprimé en 3D. Cela donne une membrane crânienne qui respire et qui lui va comme un gant. Des cheveux naturels de la couleur et de la texture appropriées sont identifiés chez les donneurs, puis cousus ensemble, mèche par mèche dans la membrane, selon des directions qui imitent la croissance capillaire naturelle du client. Pour finir, la chevelure est renvoyée chez le coiffeur, qui l’applique au cuir chevelu du client au moyen d’une colle chirurgicale.
Ce processus à 39 étapes prend environ trois mois et coûte en moyenne 2 700 à 9 000 euros, suivant les mensurations individuelles. Et pourtant, si vous demandez aux clients, chaque seconde et chaque centime valent la peine.

« Le résultat est bluffant » admet la coiffeuse styliste de Malin Mumford, Danielle Grillo, propriétaire de Transitions Hair Solutions à Wall Township dans le New Jersey. Danielle Grillo note que les prothèses CNC doivent être professionnellement ajustées et nettoyées toutes les quatre à six semaines, mais qu’elles peuvent être portées 24 heures sur 24, sept jours sur sept, au lit, sous la douche, dans l’eau et même en parachute ! « Les clients sont transformés, dit-elle. Ils sourient. Ils sont heureux. Ils redeviennent la personne qu’ils étaient avant. »
Les cheveux sont un élément tellement important de la conscience que l’on a de soi que des chercheurs à The Walt Disney Co. sont en train d’étudier de nouvelles méthodes pour numériser des coiffures et les reproduire par impression 3D. (Imaginez des statuettes personnalisées, des figurines sur mesure et des selfies 3D).
« Numériser et reproduire des portraits est de plus en plus en vogue, explique Thabo Beeler, responsable de recherche à Disney Research Zurich. Même si ces systèmes fonctionnent bien pour les visages et les corps, ils ont du mal avec la chevelure, qui exige généralement un nettoyage à la main ou l’utilisation d’un ensemble limité de modèles préparés. Car contrairement au visage et au corps, qui se prêtent facilement à l’impression solide, les cheveux sont très différents de par leur nature, car ils sont constitués de milliers de fibres individuelles. Cela complique beaucoup la reproduction par impression 3D. »
En cherchant comment imprimer des cheveux en 3D, l’équipe de Beeler a découvert un algorithme spécial qui aide les scanners 3D à « regrouper » les fibres individuelles de cheveux en plus larges mèches plus faciles à reproduire, comme font les sculpteurs lorsqu’ils sculptent des cheveux dans la pierre.
« Tout le monde a sans doute vécu le choc initial lorsqu’on se regarde dans la glace après s’être fait couper les cheveux, explique Beeler. La chevelure définit la silhouette de la tête et, en tant que telle, est très importante. Certaines personnes ont des coiffures tellement originales qu’on reconnaît leur identité à leur seule silhouette. Cela fait partie de notre apparence et beaucoup de gens passent chaque jour un temps considérable à se coiffer pour obtenir le style qu’ils souhaitent. Ne pas capturer la chevelure dans toute sa nuance signifie qu’on néglige cette expression de l’individualité. »

Au-delà des cheveux, des produits allant des cosmétiques imprimés en 3D jusqu’aux implants chirurgicaux reçoivent également un traitement high-tech. Au début de l’année, Amos Dudley âgé de 23 ans, a redressé l’une de ses dents au moyen d’un kit maison d’aligneurs orthodontiques. Dudley a créé les aligneurs au moyen de plastique dentaire acheté sur eBay et d’un moulage de ses dents imprimé par 3D, réalisé au New Jersey Institute of Technology où il étudie.
Autre exemple, celui de Grace Choi, diplômée de la Harvard Business School, fondatrice d’une société de cosmétiques nommée Mink, qui a inventé l’impression 3D du maquillage en créant une imprimante maison qui peut imprimer des cosmétiques sur mesure de n’importe quelle couleur.
Même les tatouages imprimés en 3D sont désormais possibles grâce à Pierre Emm et Johan da Silveira, cofondateurs d’Appropriate Audiences, un studio de design à Paris dont l’invention phare – Tatoué – marie une imprimante 3D avec une aiguille de tatouage. Le résultat est une « imprimante » de tatouage automatisée. Conçue en 2013, Tatoué utilise Fusion 360, Dynamo Studio, et ReMake (anciennement Memento) d’Autodesk pour numériser des dessins de tatouages et les convertir en modèles 3D qui peuvent être transférés sur la peau. Cette imprimante est conçue pour dynamiser les tatoueurs, et non pas les remplacer, en leur donnant un moyen de créer des lignes et des nuances plus précises – et de commercialiser leurs dessins en les exportant pour qu’ils soient reproduits dans les salons de tatouage du monde entier.

« L’idée n’est pas de dupliquer ce que les tatoueurs savent déjà très bien faire avec les outils dont ils disposent, mais de suggérer de nouveaux exemples », expliquent Emm et da Silveira, qui ont d’abord testé Tatoué sur une peau artificielle en silicone, mais qui ont depuis, tatoué six sujets humains, dont eux-mêmes. « Grâce à notre machine, des choses qui sont impossibles à réaliser à la main, telles que les dégradés de couleur sur une seule ligne, sont désormais possibles ».
Une chose est claire, ceux qui proclament que « la beauté est superficielle » ne se sont jamais fait de coiffures outrancières, n’ont jamais essayé une teinte originale de rouge à lèvres, ni dessiné sur leur corps un body art à couper le souffle. Sinon, ils comprendraient ce qui est en train de devenir évident avec l’idée de la beauté imprimée par 3D : notre look influence notre façon d’être, et notre façon d’être influence nos réussites.
Dans une interview de Forbes en 2014, c’est Grace Choi qui a le mieux exprimé ce phénomène, en se mesurant à l’industrie cosmétique qui représente 55 milliards de dollars : « La définition de la beauté était traditionnellement définie par les grandes sociétés cosmétiques. La technologie vous donne le pouvoir d’obtenir ce que vous voulez, quand vous le voulez. Ce ne sont plus aux sociétés de décider, ni à quiconque d’autre en fait : c’est à vous seul. En mettant le contrôle dans les mains de la jeune génération, j’espère leur inculquer la confiance en eux. Une confiance digne d’une star du rock. »