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Gérer son temps quand on est architecte : comment trouver l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et éviter le burnout.

Pour Kate Sang, maître de conférence en management à l’université Heriot-Watt, à Édimbourg en Écosse, la vie professionnelle des architectes constitue matière à explorer.

Synonyme de nuits blanches et de charrettes pour respecter les délais, la profession d’architecte constitue un champ d’exploration idéal de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Mais après avoir rencontré de nombreuses agences et publié moultes articles universitaires sur le sujet, en particulier sur les défis auxquels les femmes architectes sont confrontées, Kate Sang a pu constater de quel côté la balance avait la fâcheuse tendance de pencher.

Elle a ainsi pu observer que les réalités économiques jouaient un rôle aussi important que la créativité : « Je n’ai pas cessé d’entendre que l’architecture n’est pas un métier, ni un travail, mais un véritable mode de vie et qu’on ne cesse jamais d’être créatif. Pour la plus grande part, les architectes exercent en libéral, ce qui les force souvent à accepter toutes les offres de contrat. Comme ils doivent visiter leurs chantiers pendant la semaine, ils sont obligés de travailler tard le soir et pendant leurs week-ends.

Pour beaucoup de professionnels du domaine, les conclusions de Kate Sang ne sont pas surprenantes. Les scènes qu’elle décrit sont très fréquentes : on essaie d’assumer ses responsabilités à la fois parentales et professionnelles, dans un contexte où en travaillant à plein temps, on peut faire 70 heures par semaine. Pendant ses recherches sur la profession d’architecte, beaucoup d’hommes parmi les plus âgés lui ont avoué culpabiliser de ne pas passer suffisamment de temps avec leur conjointe et leurs enfants.

time management for architects

Les exigences de leurs clients, la fluctuation de leur quantité de travail et le besoin de ménager du temps pour être créatifs, se télescopent dans leur agenda surchargé qui les forcent à être à la fois au four et au moulin, une situation souvent exacerbée par des politiques d’entreprise fondées sur ce mode de vie. Kate Sang cite l’exemple d’une agence qui avait reçu un prix pour l’importance qu’elle accordait à la vie privée de ses employés. Elle les a interrogés à propos des congés maternité et s’est vu répondre qu’il n’y avait aucune politique spécifique en place à ce sujet.

Face aux difficultés de l’exercice de la profession, les soucis que causent la gestion du temps de travail et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée peuvent sembler accessoires. Mais Kate Sang, à l’instar d’autres experts, pense qu’avec de la discipline et un bon sens des priorités, il est possible d’être plus productif en travaillant moins, de trouver le moyen de faire plusieurs choses à la fois, mais de façon plus saine, et de se ménager du temps pour les activités créatrices.

Selon Chris Bailey, auteur du blog canadien A Life of Productivity, le besoin d’harmonie entre le créateur et le gestionnaire qui nous habitent n’exige pas seulement un sens créatif de l’organisation, mais aussi d’organiser notre créativité. Que l’on soit en plein remue-méninges ou plongé dans une séance de croquis, le coût d’une interruption de notre attention est bien trop néfaste pour ne pas s’organiser stratégiquement.

« L’activité créatrice exige de vous réserver des plages de temps exemptes de distractions, explique-t-il. Une réunion au mauvais moment peut détruire votre concentration et votre productivité. »

scheduling creative time

Cet équilibre juste et salutaire, entre les tâches de gestion et de réunions et celles qui consistent à laisser l’esprit vagabonder et innover, il le nomme la zone « Boucle d’or ». Laura Vanderkam, qui s’intéresse aux problèmes de gestion du temps dans ses colonnes du magazine Fast Company, pense elle aussi que les professions créatrices, comme l’architecture, exigent de normaliser la part créative de leur activité. Faire en sorte de se ménager des plages réservées à l’imagination permet de mieux contrôler la situation et d’être moins stressé, et clarifie la vision nébuleuse que l’on peut avoir de son temps.

Selon elle, « nous avons une vision romantique du processus créatif. Plutôt que d’attendre que l’inspiration ne vienne, mieux vaut se donner le temps de réfléchir. Prévoyez une plage horaire et mettez-la à profit pour explorer de nouvelles idées. Ça n’a rien de romantique, c’est votre boulot. Consacrez-y du temps et faites-le pendant la semaine. »

Bloquez le créneau créatif assez tôt dans la journée, quand vous avez plus d’énergie et que vous êtes plus concentré, et accordez-lui la priorité qu’il mérite. Laura Vanderkam précise qu’en gardant les tâches de gestion et de communication, comme les e-mails, pour des plages horaires plus tardives, nous faisons en sorte de ne pas gaspiller dans toutes ces petites décisions l’énergie nécessaire pour prendre du recul lors de processus de réflexion plus complexes. Méfiez-vous de la productivité facile qui consiste à vider sa boîte mail et de la gratification immédiate que procure le fait d’enchaîner des séries de petites tâches, et concentrez-vous d’abord sur les tâches essentielles.

La concentration que requiert l’exécution d’un vaste champ de petites tâches est la cause de la mauvaise réputation du « multitâche ». Pour Chris Bailey, la bonne gestion multitâche est un mythe : en réalité, au lieu de faire plusieurs choses à la fois, on fatigue son cerveau en le forçant à passer sans arrêt d’une tâche à l’autre. Rester discipliné et savoir ignorer les distractions peut aider à se concentrer sur ces tâches quand on en trouve le temps.

work-life balance

« Plutôt que de payer le prix de cette mauvaise gymnastique qui consiste à se lancer dans trop d’activités à la fois, soyez plus efficace, conseille-t-il. L’important, ce n’est pas d’être occupé, mais c’est ce que l’on a réussi à terminer à la fin de la journée. »

Si votre planning paraît trop chargé, Laura Vanderkam suggère de combiner des activités que les bourreaux de travail ignorent, comme les repas ou l’exercice, avec les sorties et les réunions. C’est ce qu’elle considère comme « la bonne façon de faire plusieurs choses à la fois ». En plus des bienfaits d’une promenade quand on discute ou de la réduction du stress qu’apportent les relations humaines et l’activité physique, cette option donne aussi le bon exemple au sein de l’entreprise. Dans un cabinet ou dans une agence peuplés d’accros du boulot, montrer l’exemple peut changer la donne et contribuer à de meilleures conditions de travail.

« Le burnout n’est bon pour personne, rappelle-t-elle. L’une des meilleures choses que puisse faire un dirigeant d’agence, en plus d’améliorer les procédures et d’investir dans une bonne gestion de projet, est de montrer aux employés qu’il a une vie en dehors du travail. Ça les autorise à en faire de même. Quand on leur envoie des emails à 3 h du matin, les employés ont tendance à croire qu’ils doivent rester disponibles et répondre quelle que soit l’heure. »

La créativité fait tellement partie du mode de vie de l’architecte qu’il est difficile de changer les choses. Comme le fait remarquer Kate Sang, les agences et les cabinets doivent faire en sorte d’instaurer un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Se faisant l’écho de Chris Bailey, qui prône l’importance de réussir à terminer ce que l’on a commencé plutôt que d’être constamment occupé, elle dénonce une culture du « présentéisme ». En observant des habitudes méthodiques et en instaurant des politiques plus tolérantes à l’égard de la vie privée, les architectes pourront jouir d’un cadre de travail plus sain et, avec un peu de chance, plus créatif.

 

À propos de l'auteur

Patrick Sisson est chroniqueur à Chicago dans les domaines de la culture et du design. À cause de lui, le designer Stefan Sagmeister a failli rater un rendez-vous galant. Le musicien Gil Scott-Heron, quant à lui n’a pas apprécié qu’il lui pose autant de questions. Il a été publié dans les revues américaines Dwell, Pitchfork, Motherboard, Wax Poetics, Stop Smiling et dans le Chicago Magazine.

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